Le Bruit de l’échantillonneuse, épisode 1

(Composition 2, Composition 3.2, Composition 7.2, Composition 10, Composition 0/Composition 9)
Multiplex 18mm et tirages jet d’encre sur papier mat, 150 x 100 cm et 90 x 50 cm.
dimensions variables
2017

S : « Tu vas tisser ce vert pour qu’ensuite tu le photographies comme fond ? «
H : « Oui, l’idée est de tisser ce textile, d’utiliser le motif créé par le tissage grâce à l’incrustation et la retouche numérique, mais qu’il puisse être présenté comme élément à part entière dans une installation.»
B : «La trame du textile apparait dans l’image photographique.»
M : «ça fait penser aux filtres des logiciels de retouche d’images, qui pourraient permettre d’arriver à ça…»
H : «Oui c’est ça…»
S : «Là tu te contredis : tu ne veux pas faire de la tapisserie et faire une image, sauf que finalement tu crées un textile vert pour y incruster une image. Le textile devient la surface de projection d’une image.»
B : «C’est pas le support de projection en soit, il y a quand même un décalage, il y a des étapes entre, c’est pas juste un écran.»
H : «Je ne veux pas faire des images dans le sens où je ne veux pas seulement tisser une image. Il s’agit de complexifier le processus de réalisation et d’appréhension d’une image tissée, en la faisant interagir avec d’autres éléments.»
S : «La place de ce textile dans une exposition, finalement devient fonctionnelle?»
B : «Didactique?»
H : «Je pense qu’il est possible de présenter ensemble le textile et des photos bruitées par le motif, tout en évitant ce coté explicatif.»
B : «Moi ça me pose pas vraiment de problème ce coté redite (…) il y a dans ton travail le décalage, le pas de coté sur chaque élément»
S : «Il y a vraiment une interchangeabilité?… Le statut reste double? Une fois que c’est passé du côté de l’oeuvre ça ne peut plus redevenir outil?»
H : «Oui, c’est un élément qui fait parti d’un corpus constitué de formes, d’objets, de principes techniques et de motifs. A partir de ce corpus, je crée des pièces, le statut de chaque élément du corpus est fixé pour chaque pièce. Cela n’empêche pas que chaque élément peut être réutilisé ou bien refait pour une autre pièce, soit comme outil, soit comme élément composant la pièce.»
S : «Une forme d’ambiguïté sur la fonction».
H : «Oui, une forme de résistance à la compréhension immédiate.»
M : «Tu n’auras qu’une couleur de fils?»
H : «Oui je veux que ce soit dans le textile que l’incrustation dysfonctionne, que ce soit la brillance du fil et la façon dont le textile est tissé qui crée le motif. Ce motif sergé en chevron, très serré et plat, amène une sorte de vibration, et avec ce double passage revient de façon régulière et plus espacée, crée un motif visible de plus loin. L’irrégularité est présente par le fait d’être tissée à la main… Ensuite, grâce à la façon dont la chaî ne est montée de façon irrégulière sur le peigne (le cadre de devant), et au fait de lever les cadres dans un ordre différent, je sais composer un textile qui, sur une base régulière, a des variantes dans la composition.»
M : «C’est un métier à tisser simple, une technique ancestrale, mais je suis sûre qu’il y a des métiers que tu peux hacker»
H : «Oui d’une certaine manière ici je bricole le métier pour en tirer ce que je souhaite.»
M : «J’ai l’impression qu’au final ça devient l’objet qui fait le lien entre pratique contemporaine et plus traditionnelle»
S : «Ce qui est intéressant, c’est que, à la fois, tu utilises l’outil à contre-emploi quelque part, pour créer des erreurs, mais qui sont en même temps des erreurs contrôlées, puisque c’est parce que la technique t’échappe… à l’inverse de quelqu’un qui ferait du tissage et qui serait dans une recherche de régularité, une forme de virtuosité ou perfection finalement par rapport à l’outil…»
H : «C’est l’ajustement entre la technique et l’esthétique qui donne une subtilité à une pièce.»
M : «Lorsque l’on regarde l’image du tissage ou en dessous en bitmap, on peut voir presque les images de mauvaise qualité grossies»
J : «Oui, comme la neige audiovisuelle que tu peux avoir sur les écrans de télé»
H : «Oui, les lignes horizontales font penser au dysfonctionnement télévisuel, lié au système cathodique, je cherche à lui lier l’esthétique des glitchs, qui est elle, liée au système informatique, numérique et qui intervient par zones carrées de façon souvent plus chaotique et en diagonale.»
S : «Comme une sorte d’hybridation entre les deux?»
H : «C’est vraiment vers ce genre d’images que j’essaie d’aller, qu’elles puissent venir à l’esprit lorsque l’on voit le textile, et les photographies dans lesquelles je joue graphiquement avec le motif du textile et le principe d’incrustation bruité par ce motif.»
Seb : «On sent que dans toutes tes opérations, il y a quelque chose qui joue entre imagerie numérique et l’archaïsme du tissage…
H : Oui, pour moi en tapisserie, le lissier pixelise en direct, ligne par ligne, une image qui lui a été donnée. Cette façon de faire n’est pas éloignée du fonctionnement d’une imprimante ou de certaines imprimantes 3D à mes yeux.»
S : C’est justement cette tension entre deux registres de production d’images qui est intéressante…»
M : «Tu es un peu au contraire de quelque chose complètement immersif, tu oublies la matérialité, ou alors tu peux appréhender de cette manière là, mais petit à petit que tu rentres effectivement, tu vois comment il a été réalisé»
H : «La technique «charge» toujours l’élément construit par l’utilisation de cette dernière. La technique aurait tendance à passer au second plan lorsqu’un geste technique n’est pas pris en compte d’un point de vue esthétique. Je travaille à faire cohabiter technique et esthétique de façon à ce qu’elles aient une «charge» d’une importance identique et complémentaire.»

Texte construit à partir des visites d’atelier de Béatrice Lortet, Jean-François Caro, Jil Vandenberghe, Marie Lécrivrain, Michela Sacchetto, Sébastien Capouet et Septembre Thiberghien.